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22 janvier 2005

L'infiniment grand et l'infiniment petit

"La première histoire que je vais vous raconter est celle de notre univers. Parce que nous vivons à l'intérieur. Et parce que toutes choses, petites et grandes, répondent aux mêmes lois et connaissent les mêmes liens d'interdépendance.

Par exemple, vous qui tournez cette page, vous frottez en un point votre index contre la cellulose du papier. De ce contact naît un échauffement infime. Un échauffement toutefois bien réel. Rapporté dans l'infiniment petit, cet échauffement provoque le saut d'un électron qui quitte son atome et vient ensuite percuter une autre particule.

Mais cette particule est en fait, "relativement" à elle-même, immense. Si bien que le choc avec l'électron est pour elle un véritable bouleversement. Avant, elle était inerte, vide, froide. A cause de votre "tournée" de page, la voici en crise. De gigantesques flammèches la zèbrent. Rien que par ce geste, vous avez provoqué quelque chose dont vous ne saurez jamais toutes les conséquences. Des mondes sont peut-être nés, avec des gens dessus, et ces gens vont découvrir la métallurgie, la cuisine provençale et les voyages stellaires. Ils pourront même se révéler plus intelligents que nous. Et ils n'auraient jamais existé si vous n'aviez pas eu ce livre entre les mains et si votre doigt n'avait pas provoqué un échauffement, précisément à cet endroit du papier.

Pareillement, notre univers trouve sûrement sa place lui aussi dans un coin de page de livre, une semelle de chaussure ou la mousse d'une canette de bière de quelque autre civilisation géante. Notre génération n'aura sans doute jamais les moyens de le vérifier. Mais ce que nous savons, c'est qu'il y a bien longtemps notre univers, ou en tout cas la particule qui contient notre univers, était vide, froid, noir, immobile. Et puis quelqu'un ou quelque chose a provoqué la crise. On a tourné une page, on a marché sur une pierre, on a raclé la mousse d'une canette de bière. Toujours est-il qu'il y a eu un traumatisme. Notre particule s'est réveillée. Chez nous, on le sait, ça a été une gigantesque explosion. On l'a nommée Big Bang.

Chaque seconde, dans l'infiniment grand, dans l'infiniment petit, dans l'infiniment lointain, il y a peut-être un univers qui naît comme le nôtre est né il y a plus de quinze milliards d'années. Les autres, on ne les connaît pas. Mais pour le nôtre on sait que ça a commencé par l'explosion de l'atome le plus "petit" et le plus "simple" : l'hydrogène.

Imaginez donc ce vaste espace de silence soudain réveillé par une déflagration titanesque. Pourquoi a-t-on tourné la page, là-haut ? Pourquoi a-t-on raclé la mousse de la bière ? Peu importe. toujours est-il que l'hydrogène brûle, explose, grille. Une lumière immense raye l'espace immaculé. Crise. Les choses immobiles prennent un mouvement. Les choses froides chauffent. Les choses silencieuses bourdonnent."

Werber Bernard, Les Fourmis, Edition Albin Michel, 1991.

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